lunes, 30 de abril de 2012

Lepetitjournal.com continue sa série sur les couples mixtes. Célèbres, ou encore inconnus, historiques ou contemporains, ils ont en commun d'avoir choisi comme partenaire un étranger. Aujourd'hui découvrez une passion épistolaire où la réalité rejoint la fiction romanesque. Si, sur les bancs du collège, la prose de Balzac a parfois un effet soporifique, ses 4.000 pages de correspondance ont pourtant enflammé le cœur d'une belle aristocrate polonaise. [archives 2011]
(illustration Ewelina Hańska et Honoré de Balzac, Wikicommons)
Nous sommes en France en 1832. Un écrivain prometteur qui connaît déjà un début de succès reçoit la lettre d’une admiratrice se faisant appeler "Étrangère". La lettre est enflammée, et l’inconnue semble possédée par une admiration sans bornes à l’égard du jeune auteur : "...votre génie me semble sublime mais il faut qu’il devienne divin…Vous êtes un météore lumineux… Vous avez en peu de mots tout mon être, j’admire votre talent, je rends hommage à votre âme ; je voudrais être votre sœur…".
Ce vœu pieux ne sera pas exaucé ; en revanche, une histoire d’amour tumultueuse naîtra entre les deux êtres. La belle Polonaise, Ewelina Hańska, entrera dans la vie d’un des plus grands écrivains français, Honoré de Balzac, puis dans l’histoire de la littérature. "Je vous aime, Inconnue". C’est ainsi que se termine la première réponse écrite de Balzac à Mme Hańska. C’est le début d’une relation qui durera 18 ans, ponctuée d’attentes, d’espoirs, de rencontres et surtout d’innombrables lettres.
"Je me suis plu à vous comprendre parmi les restes presque toujours malheureux d’un peuple dispersé [...] Ces pauvres exilés ont tout en eux, dans la voix, dans le discours, dans les idées, un je ne sais quoi qui les distingue des autres [...] et, compatriotes d’une terre inconnue mais dont les charmes se reproduisent dans leurs souvenirs, ils se reconnaissent et s’aiment au nom de cette patrie vers laquelle ils tendent'. Dès le début de leur correspondance, Balzac reconnaît en Ewelina Hańska, jeune et fortunée aristocrate polonaise, sa compatriote spirituelle. Elle est mariée à un homme beaucoup plus âgé, et s’ennuie dans son château de Wierzchownia en Ukraine. À cause de l’éloignement, mais aussi du statut de femme mariée de Mme Hańska, les amoureux devront patienter avant de pouvoir se rencontrer.
"Il y a bien longtemps que j’aurais voulu vous demander votre portrait, s’il n’y avait pas eu je ne sais quelle injure dans cette demande. [...] Je ne le veux qu’après vous avoir vue".
Ils se voient pour la première fois en Suisse au bord du lac de Neuchâtel, dans les derniers jours de septembre 1833. Coup de foudre ! Elle porte ce jour-là une robe couleur pensée. Ce sera la couleur fétiche de Balzac durant toute sa vie.
Il devient son amant en février 1834. Elle devient son égérie, sa muse, son inspiratrice. Il a 33 ans, elle en a 28. Ils se séparent à contre-cœur mais continuent à s’écrire. De 1834 à 1841, pendant huit années, ils s’écriront mais ne se verront pas. Elle attend la mort de son mari pour être libre. Il travaille comme un forçat, publie livre sur livre, vit au-dessus de ses moyens et cache ses aventures avec des femmes de passage.
Le comte Hański meurt en 1841, mais deux longues années s’écouleront avant que les deux amants ne se revoient, pour deux mois seulement, à Saint-Petersbourg. Balzac adresse lettre sur lettre à sa "chère chérie" :
"Oh ! Combien je désire ardemment d’aller vous revoir ! Mais combien j’attends de vos nouvelles ! Je suis effrayé, maintenant que vous êtes libre, de ne pas avoir de vos nouvelles, après une lettre où vous me dites que vous êtes malade ! [...] Adieu, ma chère chérie ; à bientôt. Je vais essayer de travailler et, comme les enfants, j’ai commencé par une prière ou, comme les poètes, par une invocation [...]"
En 1845 et 1846, Balzac et Ewelina voyagent en Allemagne, en France, en Hollande, en Belgique, en Italie, en Suisse ; ils rattrapent le temps perdu. Hélas, Balzac ne sera jamais père : l’enfant de leur union dont il parle avec tant d’espoir dans ses lettres ("Sois mille fois bénie, toi et Victor-Honoré. Je travaille pour nous, et c’est là le principe de cette force et de cette jeunesse que je me sens") meurt à la naissance, en novembre 1846. Finalement, Madame Hańska retourne en Ukraine, et cette fois-ci c’est Balzac qui viendra la rejoindre.
Une bouda (petit attelage en osier) le conduit au château de Wierzchownia, situé en pleine campagne. Balzac, petit-fils d’un paysan du Tarn, est impressionné par les paysages : "Les vraies steppes, […] le désert, le royaume du blé, la prairie [...] et son silence", mais aussi par la vaste demeure remplie de domestiques, de cuisiniers, de serviteurs, "une espèce de Louvre, de temple grec doré par le soleil couchant".
Pour Honoré et Ewelina, ce sont des jours heureux : ils rendent visite à la famille de Madame Hańska, voyagent, discutent, écoutent du Liszt ou du Chopin joué le soir au château par Anna, la fille d’Ewa. Balzac, comme à son habitude, travaille beaucoup. Après un bref retour à Paris où il assiste à la révolution de février 1848 et aux funérailles de Chateaubriand, l’écrivain retourne à Wierzchownia.
L’idée du mariage se concrétise, comme pour faire écho à la prémonition de l’écrivain :
"Il n’y a que dans ce pays que les mirages prennent vie". Le temps presse car sa santé se dégrade de jour en jour, le diabète provoquant des malaises cardiaques de plus en plus fréquents. Le 14 mars 1850, dans le froid et sous une pluie fine, les cloches de l’église Sainte-Barbe annoncent aux habitants de Berditchev un heureux événement. Installé dans la berline qui les conduit à l’église, Balzac se plaint à la future mariée : "Mon pauvre loup-loup, je mourrai avant de vous avoir donné mon nom !".
Honoré de Balzac réussit à épouser Ewelina Hańska. Il ne mourra que 5 mois plus tard à son domicile rue Fortunée à Paris (aujourd’hui rue Balzac), après un voyage épuisant de près d’un mois. Il sera veillé par Victor Hugo qui annoncera, juste avant sa mort : "Messieurs, l’Europe va perdre un grand esprit", et par Ewelina de Balzac qui "était toute sa vie".
Anna Kryst (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) mercredi 6 juillet 2011

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