Il est spécialiste de latin, de grec, de rock’n roll… et lunfardólogo. Il a notamment publié Poéticas del rock (2007) et Diccionario etimológico del lunfardo (2004). Dans son dernier livre, Lunfardo (Taurus, 2011), Oscar Conde raconte l’histoire de cette langue savoureuse et établit des liens avec l’argot. Rencontre
Pourquoi ce livre?
Le lunfardo a une grande importance, mais personne en Argentine ne l’a décrit de manière précise et systématique, comme ce qui a été fait en France, par exemple, par Jean-Louis Calvet dans son ouvrage l’Argot (PUF). Dans notre pays, José Gobello [né en 1919,] a beaucoup étudié le lunfardo, il en a établi l’étymologie mais n’a pas pu mener cette entreprise à son terme. C’est quand même lui qui a pris l’initiative d’arracher le lunfardo au domaine criminel pour en faire un objet d’étude scientifique [Il a également fondé la Academia Porteña del Lunfardo,].
Qu’est-ce que le lunfardo?
Le lunfardo, c’est notre langue populaire, ou encore l’ensemble des mots auxquels on ne peut pas renoncer pour s’exprimer aujourd’hui! L’argot actuel est l’héritier d’une langue qui existe depuis au moins le 15e siècle en Europe: celle des marginaux, des vagabonds, des gens qui vivent dans la rue. Durant quelque 500 ans, l’argot connaît une existence clandestine, souterraine, avec une évolution très lente. Plus tard, aux 18e et 19e siècles, il devient la langue des voleurs. C’est aux 19e et 20e siècles qu’il explose, avec le développement des moyens de communication: en Argentine, par exemple, Caras y Caretas. Dans notre pays, les autres facteurs essentiels de l’essor du lunfardo ont été l’immigration européenne et le tango. Au passage, le tango qui contient le plus de lunfardo s’intitule El ciruja (1926).
Quelle comparaison pouvez-vous faire entre le lunfardo et l’argot?
En ce qui concerne la formation des mots, il n’y a quasiment pas de différence. On retrouve les mêmes mécanismes. Re-signification: le balero devient la cabeza. Métonymie: la gorra du policia devient le policia; on dit aussi tener asfatlo ou tener calle. Parfois, on oublie le processus de transformation qui a permis à des mots nouveaux de naître, par exemple dans zarparse, qui vient de pasarse.
La grande différence entre lunfardo et argot est d’origine historique. A partir de 1860 et plus encore de 1890, l’immigration européenne aboutit en effet à de nombreux xénismes [forme lexicale provenant d'une langue et utilisée dans une autre] dans le lunfardo argentin, notamment d’origine italienne: sur 8 millions d’habitants dans le pays en 1914, 2 millions sont Italiens ou fils d’Italiens. L’argot français a lui aussi "emprunté" des termes à d’autres langues, mais pas de manière aussi massive.
Et le verlan, est-il très présent dans le lunfardo?
On a beaucoup d’exemples de ce type de changements morphologiques dans le lunfardo: c’est le vesrre, c’est-à-dire le verlan. Ainsi: féca, chele, dorima (marido), dorapa (parado), topu, samica (camisa), bolonqui (quilombo), dolape (pelado), joraca (carajo)…
Quel est l’apport du français au lunfardo?
D’abord, le terme français d’argot est celui que nous employons le plus comme synonyme de lunfardo, et ce depuis le 19e siècle déjà.
Ensuite, on trouve beaucoup de termes français dans le tango. Une bonne partie d’entre eux provient du milieu de la prostitution, du jeu, de l’argent, de la délinquance: dolorosa (la douloureuse, l’addition), macró (maquereau), biscuit (belle femme délicate), garsonié (garçonnière), afiche (agent de police, durant quelques années!), cañota (cagnotte), palo (bâton littéralement: un million de francs)… Plus récent est le terme trolo pour homo (déformation du terme français de drôle).
Et aujourd’hui?
Il y a peu de termes que l’espagnol importe actuellement du français. L’exemple qui me vient en tête est celui de partusa, qui vient de partouse et dont l’usage s’est généralisé depuis une quinzaine d’années. Mais on le trouve avant, dans le journal d’Adolfo Bioy Casares, dès la moitié des années 60.
Si vous voulez lire du lunfardo actuel, voyez par exemple les éditos d’Alejandro Borensztein, le fils du Tato Bores, dans Clarín ou bien sûr Barcelona. Ou bien écoutez de la cumbia villera, qui regorge de termes carcéraux ou footballistiques!
Propos recueillis par et photo de Barbara VIGNAUX (www.lepetitjournal.com - Buenos Aires) - mardi 12 juillet 2011
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