" Les poèmes de Baudelaire m'ouvrirent l'accès à la beauté de la langue française. À sa beauté concrète et complète, j'entends : beauté du son autant que du sens, prosodique autant que conceptuelle, sensuelle autant que significative.
Jusque là, le français m'avait été presque exclusivement une langue écrite, aux qualités quasiment abstraites. Langue de lecture, donc, de silence intime et solitaire. Langue de l'écrit à déchiffrer, qui avait pourtant sur le latin et le grec de mes études classiques au Tweede Gymnasium l'avantage d'être vivante. Quelles qu'eussent été jusque là les beautés d'Ovide, par exemple, celles de Baudelaire m'apparurent aussitôt plus proches, gorgées de sève et de sang. De sens, autrement dit : sensualité et signification.
Dans mon enfance la langue étrangère que j'avais apprise n'était pas le français mais l'allemand. Mon père avait jugé qu'il serait toujours temps d'apprendre le français : ni les occasions ni le désir d'y parvenir ne nous feraient défaut, pensait-il. De surcroît, c'était une langue plus difficile pour nous, Latins, affirmait-il. Raison de plus de s'y mettre sans tarder".
Jorge SEMPRUN - "Adieu vive clarté" p.56-57
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